26 Avril 2023
L'Inquisition a marqué les esprits et a donné à l'Eglise une image afreuse dont elle souffre encore en partie aujourd'hui. Des milliers de victimes innocentes, dont la grande majorité était des femmes, ont été torturées et brûlées vives sur la place publique pour des raisons obscures. Minoru Takeyoshi a choisit de dénoncer cela dans un manga, Le couvent des damnées.
Nous sommes en 1542 dans le Saint Empire Romain Germanique. Parce qu'elle a l'esprit plus vif que ses frères et sœurs et qu'elle est née dans une famille en proie à la famine, Ella est abandonnée par ses parents. Elle est aoptée par Angelika, une sage femme et guérisseuse. Malheureusement à cette époque, ce mot est synonyme de sorcellerie.
Bien qu'elle soit très utile à de nombreuses personnes, Angelika est regardée de travers, surtout qu'elle réussit à subvenir à ses besoins sans l'aide d'un homme. Sa douceur et sa bonté n'ont d'égale que la méfiance et la méchanceté des gens. Un jour, l'inquisiteur Wilke frappe à sa porte. Dès lors, c'est la fin.
Accusée d'être une sorcière sans la moindre preuve, Angelika subit plusieurs supplices comme l'estrapade. Personne ne lui vient en aide, au contraire. Finalement, pour protéger Ella qui risque de se faire torturer à son tour, elle accepte de prononcer de faux avoeux et se condamne donc au bûcher.
Devenue orpheline pour la deuxième fois de suite alors qu'elle n'a même pas 15 ans, Ella est recueillie par l'ordre du Claustrum pour lequel travaille justement Wilke. Conduite au couvent du Partage des Eaux afin d'y recevoir une formation de nonne, elle va découvrir un monastère des plus singuliers qui n'a pas grand chose à envier à l'enfer.
Ici, les novices sont soumises à des règles strictes. Elles n'ont pas le droit de posséder quoi que ce soit et ne disposent d'aucune liberté. Mais ce n'est rien comparé au châtiment qu'elles risquent en cas de désobéissance. Une parole de travers peut condamner à mort. La prudence est donc de mise à chaque instant.
Mais ce n'est pas tout. On prétend que les miracles sont fréquents en ce lieu. Mais ce ne sont en réalité que des illusions à cause d'une substance appelée la manne dissimulée dans la nourriture quotidienne. Grace à cette drogue provenant de l'ergot qui donnera plus tard naissance au LSD, les nonnes adoucissent un peu la vie de leurs novices et s'assurent de leur soumission.
On nage en plein délire ! Où se trouve Dieu là dedans ? Où se cachent les valeurs de générosité et miséricorde promues normalement par le catholicisme ? L'ordre du Claustrum dissimule des objectifs plus politiques. Son chef, une certaine Edelgard, compte mettre la main sur une vierge de fer qui a disparu 15 ans plus tôt après le sac de Rome. Pour cela, elle est prête à tout.
Evidemment, on se dit qu'elle et son subordonné Wilke sont de véritables ordures. Mais ce qu'il y a d'étonnant ici, c'est qu'ils pensent réellement agir pour le bien du plus grand nombre. C'est également le cas d'Hrotsvita, la sœur borgne qui prépare les repas. A leurs yeux, il est impératif d'avoir une poigne d'acier pour lutter contre la corruption, la sorcellerie et la réforme protestante qui sont les trois fléaux qui menacent alors l'Eglise.
Ella ne voit pas si loin. Elle nourrit une haine intense à l'égard d'Edelgard qu'elle juge responsable de la mort d'Angelika. Mais il lui faut veiller à bien l'entretenir car sinon, elle pourrait à l'instar de ses camarades se laisser endormir par la manne, se satisfaire de son sort et oublier ses souffrances sans même s'en rendre compte.
Ce premier tome frappe très fort. Religion, politique et drogue constituent un cocktail détonnant. On ne pensait pas trouver cela dans une histoire se déroulant 16eme siècle. Minoru Takeyoshi a fait preuve d'imagination en s'inspirant du feu de Saint Antoine, une terrible maladie très répandue à l'époque qui infligeait nécroses, hallucinations, convulsions et parfois la mort après avoir mangé du pain de sègle.
L'univers est très sombre. On se croirait dans un monde de dark fantasy sans les monstres. Ella endure de nombreuses peines mais ce n'est pas la seule. Toutes ses camarades novices (dont ses amies Hilde et Kaja) sont des filles de sorcières et ont donc connu un sort similaire. Quand à Hrotsvita, elle a perdu son petit frère et a faillit mourir de faim à cause de luthériens. Il ne serait pas étonnant d'apprendre que Wilke et Edelgard portent leur propre fardeau de souffrances eux aussi.
D'une manière général, ce récit est magnifiquement écrit. Chaque élément est à sa place. On s'en rend d'autant plus compte avec une deuxième lecture. En prime, on apprend plusieurs faits historiques intéressants. Le couvent des damnées commence bien.
Note : 7,5/10